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Publié par Saoudi Abdelaziz

LA FIN DE L’ETAT-NATION, une note de lecture par Ammar Belhimer

6 décembre 2016

Le «système global» qui s’est installé au lendemain de l’effondrement de l’Union soviétique est «une nouvelle forme d’impérialisme qui ne repose sur aucun empire national» et amorce une nouvelle phase de mondialisation du capital. C’est une configuration sans tête, un réseau plutôt qu’une pyramide, fondé sur une gouvernance «insécuritaire» qui travaille à «rendre la politique insaisissable» pour se débarrasser du contrôle rationnel du peuple.Tel est en substance le portrait que dresse Alain Joxe de l’empire états-unien dans une brillante publication, parue chez La Découverte à Paris(*).
 

Une des particularités majeures du nouveau système est de faire peu cas de la souveraineté – l’unique tâche stratégique relevant de la souveraineté des Etats est la régulation des troubles sociaux et les guerres.

Trois pistes sont privilégiées par Alain Joxe pour souligner :
• «la naissance d’une société insécuritaire globale en l’espace de trente ans ;
• les stratégies militaires et policières et leur globalisation sous le leadership des Etats-Unis ;
• le besoin de regrouper les nations démocratiques en une fédération capable par son poids de se défendre contre les nuisances de la finance spéculative.»

 

La naissance d’une société politique globale, insécuritaire et violente est traversée par des chocs économiques dès 2007. Cette mutation s’accompagne d’une métamorphose du politique dans laquelle la gouvernance sécuritaire remplace l’Etat protecteur, de la consécration du «terrorisme» comme ennemi politique global à partir des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis et, enfin, du passage de la liberté d’entreprendre à la spéculation sur les besoins élémentaires de survie.

La gouvernance insécuritaire néolibérale qui remplace l’Etat protecteur est une innovation complète, «une régression placée dans la longue durée historique». Elle rompt avec l’héritage de Hobbes et son modèle d’Etat-nation souverain qui s’est imposé en Europe occidentale dès le XVIIe siècle avec les traités de Westphalie de 1648 par lesquels les Etats européens mettaient fin aux guerres de religion (Le Léviathan ou Traité de la matière, de la forme et du pouvoir d’une république ecclésiastique et civile de 1651). En s’accordant sur le principe cujus regio ejus religio (la religion du prince est celle du pays), ils mettaient du même coup la croyance sous protection politique, ce qui assure la sécurité des populations civiles contre les violences de la guerre civile de religion (fonction fondatrice de l’Etat).

La configuration actuelle est tout autre : elle détruit les Etats et les empires pour promouvoir une gouvernance mondiale par les marchés qui multiplie «les guerres sans fin, guerres fondées sur la destruction des échelles élémentaires de régulation politique collective» que sont les Etats.
Il s’ensuit, depuis 1990, la mise en place d’insécurités (globalisation, balkanisation et guerres sans fin) qui produisent de la terreur ubiquitaire. Celle-ci va modifier «les espaces-temps, épisodes structurant la topologie de la terreur dans l’ensemble du monde » en quatre moments :

 

• l’épisode global (1990-1991) : vide stratégique résultant de la disparition de l’ennemi et de la fin de la bipolarité par l’effondrement de la Communauté des Etats socialistes d’Europe ;
• l’épisode moyen-oriental pétrolier (guerre du Golfe en 1991 et écrasement de l’armée irakiennne) puis impérial intercommunautaire (arrêt du processus de paix en Palestine et assassinat de Rabin en 1995) ;
• l’épisode européen (multiplication des guerres dans le voisinage sud de l’Europe, 1995-1997 – démantèlement des régimes d’économie sociale de marché) ;
• l’épisode américain (attentats du 11 septembre 2001, guerres d’Afghanistan et d’Irak).

 

Ce faisant, la «guerre des civilisations» de Samuel Huntington passe du statut de «théorie» à celui de «doctrine» comportant existence d’un «ennemi stratégique unifié, ayant pour seul objectif la destruction de l’Occident» et avec lequel aucun dialogue n’est possible et aucune interaction n’est acceptable.
«L’alarmisme anti-islamiste» et, au-delà, l’islamophobie qui en résulte, a pour fonction de produire de l’anxiété comme moyen principal d’hégémonie dans le système de pouvoir politique mondial.

Sur le plan économique, il se produit une mutation de la liberté d’entreprendre à la souveraineté des entreprises, principalement transnationales. On passe – à coups de violences, de guerres et de coups d’Etats – d’une configuration multinationale (dans laquelle les firmes se font concurrence pour avoir les faveurs des Etats) à une configuration globale (où ce sont les Etats qui se font concurrence pour attirer les firmes).
Cette mutation avec pour moteurs deux «concepts frontaliers» : la prédation et l’addiction, considérées comme des paradigmes stratégiques, civils et militaires.

 

La prédation systémique des profits intenses immédiats est une activité impériale qui correspond historiquement à la dernière des trois échelles successives : empires (coloniaux), bipolarité (Est-Ouest) et globalisation (néolibérale).
L’addiction généralisée est, pour sa part, source de marchés captifs, de profits intenses et d’accumulation, avec pour idéal l’absence de concurrent et le monopole.

 

L’addiction à la «rente aventurière» est l’expression de l’effritement des frontières traditionnelles entre la catégorie de la rente et celle du profit d’entreprise. Elle est favorisée par la domination montante des praticiens de l’espace-temps financier (courtermisme dopé par l’électronique) sur ceux de l’espace-temps de l’économie réelle de la production. Domination de praticiens formant une classe rentière globale dont l’enrichissement est sans limites, du fait de la globalisation et de la gestion électronique des mécanismes de marchés captifs globaux ou locaux.

Les nouveaux sujets qui supplantent les Etats que sont les entreprises financières souveraines sont l’expression d’un modèle mafieux généralisé marqué par une «militarisation» de la pensée économique et l’articulation directe hors territoire de la violence sur l’économie.

 Source : Le Soir d'Algérie


(*) Alain Joxe, «Les guerres de l’empire global – Spéculations financières, guerres robotiques, résistance démocratique», La Découverte, Paris 2012, 261 p.

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