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Publié par Saoudi Abdelaziz

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 2 novembre 2016. Libre-Algérie

C’est une plongée dans les ténèbres en plein jour, un guet-apens à la veille du 1er novembre. Une foule tranquillement menaçante devant des policiers qui n’en menaient pas large et un corps suspendu comme une bête pour l’éviscération un jour d’Aïd.

Mais ce n’était pas une fête. La scène de lynchage à Akbou largement diffusée sur les réseaux sociaux et reprise par quelques médias – ignorée par beaucoup d’autres par une réaction de répulsion compréhensible –  est arrivée, la veille du 1er novembre. Notre fête la plus consensuelle.

La veille de ce jour à la société algérienne a donné, dans la douleur, l’accélération décisive de son long combat pour rétablir son humanité niée et écrasée par l’ordre colonial. Des ténèbres en plein jour qui viennent perturber nos hommages intimes à ceux qui ont tout donné et le souvenir de ce qu’ils voulaient et de ce qui reste à faire, une Algérie libre avec des femmes et des hommes libres.

Non, ce n’est pas nous, avons-nous envie de crier ! Ce lieudit Vouyizen n’est pas en Algérie, ce qui s’y est passé est totalement antinomique avec la grandeur – et l’universalité – de la révolution des Algériens. Ils se sont battus pour un Etat et on le voit – à l’ère du portable on est tous conviés à voir – qu’il est tranquillement bafoué.

Mais à Vouziyen – lieudit qui n’est pas sorti d’une autre planète – nous avons eu une scène de torture, un crime contre la notion d’Etat puisque des gens se sont substitués à la justice et à la police. Et bien entendu, un Etat si faible que ses agents ne sont pas armés par la loi mais négocient, parlementent – supplient même – les lyncheurs de ne pas aller jusqu’au bout.

Penser est douloureux, perturbant

Et la communication officielle insiste : le supplicié n’est pas mort, il a été sauvé par l’intervention des forces de l’ordre. Comme si l’on nous invitait à «passer », à ne pas «trop penser » voire à ne pas penser du tout. Il n’y a pas eu mort d’hommes, pas de quoi en faire un foin ! Voilà ce que l’on nous suggère très platement.

Et certains aimeraient bien y croire car penser est douloureux et perturbant. Et puis penser – quand dispose un petit espace pour l’exprimer – est encore plus perturbant pour ceux qui font mine de croire qu’ils sont à la tête d’un ordre.

Penser, réfléchir, appeler à connaître, à savoir, cela trouble la quiétude publique, selon la formidable formule d’un ancien ministre de l’intérieur pour justifier une des longues suspensions de l’hebdomadaire la Nation.

C’était dans l’autre siècle, si proche, au milieu des années 90, le même ministre qui était perturbé par l’exercice de réflexion mené par la Nation, un journal «autochtone» -encore un souvenir de la sémantique des années terribles amnésiées par un article de loi qui punit leur évocation – avait publiquement appelé les walis à ne pas respecter les lois !  

Et l’on se souvient de tant de noms de lieudits, de douars, semblables à Vouziyen, que nous avons appris à connaître dans des bilans macabres impersonnels communiqués via l’imprimatur ou via les journaux sécuritaires autorisés.

Sous la menace de l’article 46

Non, Vouziyen, n’est pas accident. Il surgit dans l’horreur comme tant de lieux dont nous avons appris à connaître les noms au fil de morts et des massacres. Des noms auxquels nous ne pouvons ne pas penser malgré la menace que l’article 46 fait peser sur nos raisons et notre marge mince de liberté en décrétant que l’histoire est terminée et qu’elle a été écrite par un vainqueur.

En réalité, c’était de la pure irresponsabilité d’empêcher la société de verbaliser le traumatisme qui n’est que le début d’un traitement où la justice a une place fondamentale. Le professeur Farid Chaoui a averti depuis des années que le stress post-traumatique non géré se transmet de manière générationnelle.

« Notre génération était trop jeune pour subir directement la violence de la guerre de libération, nous l’avons subie indirectement à travers nos parents de mille et une manière et on nous a transmis ce stress. Les nouvelles générations qui ont vécu la situation de 90 vivent, au plan médical, la même situation » avait-il noté en relevant que les violences urbaines, à l’école, les violences conjugales, sont en partie liées à ces phénomènes… « On essaye d’imposer le silence autour de cette question comme si on allait résoudre le problème. Or, si on l’ignore, cela va nous exploser à la figure » avait averti le professeur Chaoui.

Vouziyen n’est qu’un rappel de la profonde perversité de la «médication » par l’oubli forcé imposée aux Algérien par le régime. Alors qu’un lynchage donnait une indication de plus – il y a eu tant de messages éloquents dont celui de Ghardaïa – que le divorce entre la société et ce qui fait office d’Etat prend une ampleur abyssale, le message officiel à la veille de novembre est d’un surréalisme inégalé.

L’Algérie s’est dotée « d’une démocratie authentique qui continuera de progresser, pour prouver au reste du monde que nous n’avons rien à envier à quiconque en ce domaine” lit-on dans le message du chef de l’Etat qui demande aux partis politiques de «concourir à la préservation » de la stabilité politique.  Le tout dans un appel à constituer un «front intérieur » face aux menaces extérieures et à la crise générée par la chute des revenus pétroliers.

Le néo-makhzen

Comme si les partis avaient un quelconque pouvoir dans un régime qui a fait de l’empêchement de la structuration politique de la société un leitmotiv, une obsession, une directive permanente à ses agents ! Le résultat est là. On peut avoir un machin politique comme le FLN ou le RND, cela permet au mieux à quelques ambitions personnelles de se faire, à des riches d’entrer en politique, cela ne donne aucune prise sur la société. 

Mais quand on décrète que l’histoire est écrite, que nous avons une démocratie «authentique » qui n’a rien à envier à quiconque, que nous avons de belles institutions, cela signifie qu’on a tout en main et qu’on n’a nul besoin des partis. Ni des perturbateurs qui n’en finissent pas de cogiter, de «troubler la quiétude » en notant que cela ne tourne pas rond, que les logiques claniques sont devenus depuis longtemps la menace principale.

Il n’y a pas dans ce surréalisme que la rente pétrolière a permis d’entretenir une méconnaissance des risques. Ces risques, on les connait et on les utilise éventuellement non pas pour organiser le pays à faire face mais juste pour dissuader ceux qui contestent ou protestent. Le plus effrayant est l’exorbitante volonté de créer une identification entre un régime obsolète et la nation.

La stabilité, c’est nous !

Il est clair que dans un tel état d’esprit, le message qui est émis ce résume très simplement : la stabilité, c’est nous. C’est d’ailleurs, le «trend » pour utiliser le langage des économistes. La tendance. Notre néo-makhzen qui n’a plus rien à envier à celui du voisin nous convie déjà, à demi-mots, aux délices de la stabilité que permettrait un 5ème mandat si Allah le veut.

Le régime s’inquiète de la chute des revenus pétroliers mais se donne un auto-satisfécit sur la manière dont il a dépensé la manne accumulée dans les années 2000 qui a fabriqué des oligarques mais n’a pas créé une économie.

Mais ce néo-Makhzen n’en en rien capable, sa mission se limite à empêcher les Algériens de s’organiser et de se mettre à penser ensemble à comment sortir d’une situation qui dure alors qu’elle est a à contre-courant de ce que nous voulons être, à contre-courant des combats durs du mouvement national.

Ce que la terrible affaire d’Akbou nous rappelle est que la société algérienne a accumulé un potentiel de violence qui, contrairement à 1954 où l’action du mouvement national a maturé, n’est pas transformable en mouvement révolutionnaire. C’est un potentiel destructeur, menaçant, cela nous rappelle la fragilité de la sortie de crise par l’amnésie et le risque d’un nouveau basculement.

Tous les appels à la «raison » pour que l’on analyse de manière «consensuelle » les causes des grandes menaces pour le pays buttent sur la vision à courte-vue du régime où les agents sont occupés surtout à se surveiller et à neutraliser un clan ou à amadouer un autre.

Nous Autres

Tout n’est pas noir. Dans cette plongée dans les ténèbres, des femmes et des hommes tentent de réveiller, avec leur limite, la société algérienne. Ils tentent d’assumer le devoir que leur instruction, leur expérience politique, leur connaissance du monde leur impose envers leur société.

Mouloud Hamrouche qui est dans cette démarche pédagogique a souligné récemment que ce qui légitime le statut et les privilèges éventuels des élites sont les «intelligences et les savoirs » qu’ils apportent pour « aider la société à faire face aux imprévus et à opérer avec succès et à moindre coût les adaptations qu’exigent les situations intérieures et qu’imposent les changements internationaux. ».

Ils sont dans un contexte inquiétant ce qu’on peut appeler des «passeurs », ceux qui ne peuvent s’empêcher de penser à ce qui se passe dans leur société sous les regards insouciants d’un régime entièrement centré sur le souci de contrôler.

Un livre intitulé « Nous autres» (Eléments pour un manifeste de l’Algérie heureuse) vient de paraitre sous la supervision d’Amin Khan. Un appel à la connaissance de l’Algérie, de son histoire, de son environnement avec quatre axes : penser, travailler, lutter et aimer. Des éléments épars pour tenter de se donner les moyens de conjurer une menace qui a cessé d’être théorique.  

On y reviendra. Voici un extrait du texte d’Amin Khan qui ouvre ce « Nous Autres… »

« Pourquoi, en effet, serions-nous condamnés à errer entre les décombres du passé et les horreurs « modernes » de la spéculation financière, entre cités carcérales et bidonvilles pestilentiels, le long d’oueds asséchés ou sur des rivages jonchés de plastique ? Pourquoi serions-nous condamnés à ingérer des aliments malsains, des boissons toxiques, à offrir nos poumons à un air irrespirable ? Pourquoi serions-nous condamnés à trembler pour la sécurité, la dignité et le bien-être de nos enfants ? Pourquoi serions-nous condamnés à la réclusion perpétuelle de nos espoirs les plus banals ? Pourquoi serions-nous condamnés au déni de nos droits humains, au bafouage de nos aspirations les plus modestes ? Pourquoi serions-nous condamnés à baisser la tête, de honte, d’ignorance, de faiblesse ? Pourquoi serions-nous condamnés à l’humiliation, à la blessure de notre dignité d’hommes, de femmes, d’enfants, notre dignité d’êtres humains ? Pourquoi serions-nous condamnés à la servitude, à la répression, à la corruption, à l’assassinat, au mépris, à l’abaissement, à la torture, à l’exil ? Par quel décret serions-nous assignés à un espace dans ce monde où l’on est condamné, dès la naissance, à la privation perpétuelle de justice, de liberté et d’amour ?  Pour quelle raison, en effet, autre que l’usage insuffisant de notre raison et de notre volonté ? »

Source : Libre-Algérie

 

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