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Publié par Saoudi Abdelaziz

DR.. Ahmed Akkache avec la moudjahida Annie Steiner en 2007

NOTES DE LECTURE.

Par Benyassari, 10 juillet 2016, Libre-Algerie

L’intuition d’Ahmed Akkache, avait précédé les événements. Mohamed Bouhamidi, dans la préface qu’il écrit, s’accorde à dire qu’ « il avait élaboré et écrit ce livre, bien avant que la crise financière de 2008, ne vienne ébranler l’arrogance politique et les certitudes théoriques des prêtres du marché non régulé. Qui est Ahmed Akkache ? Il est arrêté en 1957 et condamné à mort, par les autorités coloniales. Il s’évade de prison, en janvier 1962.  D’abord historien, puis diplômé en sciences économiques à Paris, il s’engage dans le journalisme militant et réalise des reportages et des études, avant de commencer à collaborer à la revue culturelle Progrès. L’homme, était membre du bureau politique, du parti communiste algérien.

Après l’indépendance, proche du monde du travail, il a été l’animateur d’une revue spécialisée qui était un outil de référence, pour les chercheurs, les syndicalistes et les étudiants de la faculté des lettres et des sciences humaines d’Alger, la Revue du travail. Il enseigne l’histoire à Alger et est l’auteur, de plusieurs ouvrages.

C’est au moment où l’ultralibéralisme était considéré comme omnipotent et omniscient qu’Ahmed Akkache a commencé à traquer tous les aspects qui mettaient à nu les contradictions absolues, entre les enjeux de développement autocentrés et « les orientations libérales qui devenaient hégémoniques ». Brassant large et à contre courant « d’une actualité économique dominée par le triomphe d’un libéralisme conquérant », il démêlait l’écheveau d’une crise inédite et encore imperceptible. Le destin de la patrie, « se noue dans des rapports internationaux qui reproduisent le développement inégal et les rapports inégaux entre peuples et nations »1 La mondialisation, n’est pas une fatalité et le développement et l’émancipation, passent par d’autres voies possibles.

Penser l’Algérie hors du monde et de la mondialisation, c’est-à-dire loin des «orientations libérales », était possible et c’est une exigence impérieuse du développement national. Des cercles pour leurs intérêts, voulaient voir l’Algérie convertie à l’ouverture sauvage du marché et au culte de la mondialisation. Ils faisaient fi « de l’échec de cette même politique dans le cadre des mesures d’infitah que le pays a connu dès le début des années 1980 et qui ont levé le monopole sur le commerce extérieur et mis en coupe réglée le secteur industriel ». La désindustrialisation, est un legs de cette politique de démantèlement délibéré. Ces mesures d’ouverture, se sont trouvées couplées à un abandon de la souveraineté nationale qui a disqualifié toute idée d’effort national.

Les ultralibéraux, étaient loin de porter un projet de développement d’un quelconque capitalisme national. Loin des exigences des tâches historiques de développement, dont la mission incombe à l’Etat national et contrairement à des pays comme la Chine ou le Vietnam, ils ont préféré «  sacrifier les intérêts nationaux pour le seul profit immédiat ».

Le capitalisme « n’est pas un phénomène naturel, l’expression d’une essence éternelle de l’homme mais un fait historique, de culture, un rapport social ». Il l’étudie dans le cadre d’une approche de la formation économique et sociale qui s’appelle l’Algérie. Il procède à l’analyse critique d’une situation concrète où domine la question du rapport social et du changement. Il en tire une conséquence optimiste.

Les crises récurrentes du système, peuvent produire les conditions nécessaires, pour les changements sociaux. Il soumet l’expérience algérienne de développement au crible de la vérification. Elle n’est plus du ressort de cercles d’initiés et montre que le changement est un enjeu pour toutes les classes qui ont un intérêt dans l’au-delà des recettes éculées de l’ultralibéralisme.

Le système impérialiste a su se faire oublier. Il se présente sous des aspects différents et donne l’impression de jouer une nouvelle pièce. Les années 1980, la chute du mur de Berlin, sont un tournant. On a cessé « de parler d’impérialisme et on a commencé à parler de l’échec du socialisme et de la mondialisation de l’économie ». Une corrélation qui a de l’intérêt et qui mérite qu’on s’y attarde. L’impérialisme, surtout pour les jeunes générations « ce n’est pas seulement la férocité de l’exploitation coloniale, les guerres d’agression, mais c’est aussi le règne sans partage du capitalisme international, sur une base de rapports inégaux, les forts dominants les faibles ». L’indépendance acquise, « il est plus difficile de briser les liens économiques et les mécanismes financiers ». L’Algérie en a fait l’amère expérience. Après plus de trente années d’effort pour construire une économie nationale indépendante, « les résultats obtenus, sont à l’opposés des objectifs recherchés tant en matière de libération économique que de développement social ».

La dépendance économique, « s’est en fait élargie à une dépendance alimentaire, technologique et surtout  financière qui nous a obligés à nous soumettre aux lois du marché mondial et aux exigences du FMI ». L’agriculture, « une des grandes richesses du pays, n’arrive plus à nourrir la population » et l’industrie, « a besoin d’énormes injections de capitaux que l’Etat n’est plus en mesure d’assurer ». Les inégalités s’approfondissent.

L’ouvrage suscite une interrogation : pourquoi ces échecs dramatiques alors que l’Algérie disposait au départ d’atouts importants et de potentialités ? Il affirme que « jamais un véritable débat démocratique n’a permis à la société algérienne, de clarifier ces question vitales, pour l’avenir de la nation ». Il revient sur le caractère autoritaire des choix, au lendemain de l’indépendance. Et c’est avec les mêmes arguments d’autorité que les options de départ, le choix du socialisme, ont été remises en cause dans les années 1980, pour imposer la voie du libéralisme. L’absence de débat et « l’exclusion, ont accouché d’un système hybride qui n’avait aucune chance d’aboutir ». Pour expliquer les résultats désastreux des options ainsi définies,

l’auteur pense qu’on a omis de poser les bonnes questions :

Pourquoi dans de si nombreux pays du Tiers-monde, le développement a-t-il échoué ? L’Algérie, a-t-elle fait honnêtement et démocratiquement le bilan de ses expériences? Qu’est ce que c’est au juste que le développement ? Une simple accumulation de capitaux ? Un phénomène artificiel de croissance économique, un appel répété à des investissements étrangers ? Ou l’éveil des populations du pays et la mise au travail de toutes les forces nationales de création et de production ?

En réponse à la première question, les analystes occidentaux, ceux qui ont supprimé de leur vocabulaire « toute référence à l’époque coloniale et à l’impérialisme, ne voient d’autres coupable à dénoncer que la victime elle-même, c’est-à-dire le Tiers-monde ». Beaucoup des dirigeants des pays du Sud, n’ont été que « des marionnettes manipulés par les agents des multinationales et ils se sont montrés incapables de réaliser les aspirations démocratiques et sociales de leurs peuples ». Cela, ne saurait faire oublier les responsabilités de l’impérialisme d’hier et « les nouveaux mécanismes d’exploitation qu’il a mis en place aujourd’hui ». Au cœur de ces mécanismes, les prix des matières premières vendues par les pays pauvres, diminuent sans cesse et les prix des produits industriels, ne cessent d’augmenter. Les pays endettés, remboursent quatre ou cinq fois plus, les capitaux empruntés. Profitant de leur avance technologique, de leur savoir-faire et de leurs capitaux, les pays capitalistes occidentaux « imposent des conditionnalités plus draconiennes que les relations inégales du passé ». L’échec du développement, est à l’origine de « l’accroissement des inégalités sociales, mais il est aussi cause de tensions dans le monde, des insurrections, des émeutes, des guerres civiles et du terrorisme sanglant ». Il est à l’origine de la migration de millions d’hommes à travers la planète. Il a donné naissance à « des extrémismes religieux et ethniques d’une violence inouïe ». L’auteur démonte la stratégie des puissances mondiales et surtout celle des Etats-Unis « qui sous prétexte de lois du marché et des règles de la commercialité », font tout pour affaiblir les Etats nationaux qui tiennent à leur souveraineté, « terrorisent les populations de ces Etats et détruisent leurs acquis économiques et sociaux ». Le Tiers-monde a volé en éclat et le bloc socialiste n’existe plus. Ce qui a plongé des pays comme l’Algérie, dans un grand désarroi. Des pays ont perdu leurs repères et cherchent à s’orienter dans un monde marqué par de grands bouleversements auxquels ils ne sont pas préparés. D’où la part d’improvisation dans tout ce qui est entrepris. L’ouvrage nous introduit dans un monde d’interrogations :

Faut-il adopter sans arrière-pensée les valeurs démocratiques modernes ou réinstaurer le Khalifat ? Faut-il accepter franchement les lois du marché libre, de la concurrence, de la compétitivité ou revenir à la stagnation du dirigisme et de la bureaucratie rentière ? Faut-il nous ouvrir au commerce mondial, aux échanges culturels et scientifiques, aux technologies nouvelles, qui supposent des relations nombreuses avec l’extérieur, ou au contraire nous replier sur nous-mêmes en vantant la grandeur de nos ancêtres et en pratiquant une autarcie synonyme d’étouffement et de régression mortelle à brève échéance ?

Il apporte des éléments au débat,  tente une approche du phénomène de la mondialisation et des problèmes de l’économie et du marché et celui de la globalisation, pour ce qui touche à la gestion politique, à la communication et la culture. Il aborde certains aspects importants de l’expérience algérienne de développement depuis le premier plan triennal (1967), jusqu’aux programmes d’ajustement structurel, imposés par les institutions financières internationales. Il permet de mieux appréhender, le débat économique actuel et de recadrer l’échange académique où chacun tire à hue et à dia. La mondialisation est économique, politique, culturelle ou scientifique. C’est un phénomène surprenant des temps modernes. Il nous permet « de vivre virtuellement, presque en direct, grâce aux technologies modernes de l’information, de l’électronique et des télécommunications », le moindre évènement dans le monde. L’image, est devenue une marchandise et en tant que telle, elle se vend partout. La mondialisation, qui est « un immense courant d’échanges économiques et commerciaux, crée les conditions objectives d’une solidarité internationale bénéfique à tous les habitants de la planète ».

Mais, « il y a une face cachée d’une mondialisation injuste qui est l’héritière impitoyable de l’ancien ordre colonial ». Elle est caractérisée par une polarisation sociale qui « permet à quelques individus d’accaparer à leur seul profit la presque totalité des richesses ». La mondialisation, est le visage hideux que prend l’impérialisme aujourd’hui, après le recul qu’il a subi entre les deux grandes guerres, avec le triomphe de la révolution bolchévique et la montée du mouvement de libération national. Ce retour, se caractérise par « l’interpénétration de ses dirigeants (banquiers, grands capitaines d’industrie, cadres de la technostructure, comme l’appelle J. Galbraith) et des responsables nationaux des appareils d’Etat (ministres, parlementaires, directeurs des grandes institutions) et où les politiques économiques et financières, les systèmes fiscaux et budgétaires, les ressources du pays, sont mis directement au service du grand capital. L’exportation des capitaux, va supplanter celle des marchandises.

Le développement fulgurant des moyens de transport, de communication et d’échange « a facilité l’émergence de sociétés transnationales et une concentration plus importante de capitaux qui a généré une plus grande fusion des entreprises et la création de fonds d’investissement gigantesques ».

La mondialisation de l’économie, « n’est pas un phénomène original mais un processus historique inscrit dans le développement même du système capitaliste, qui a enregistré une forte accélération depuis le milieu du dernier siècle (1950-1960) ». Le capitalisme,   « n’est pas mort, mais est entré dans une nouvelle phase de son histoire : celle de la mondialisation ». Le socialisme lui, « dans sa forme bureaucratique stalinienne, a subi un échec historique suite à ses dérives totalitaires ». Le monde est devenu unipolaire, avec un système unique, rénové et mondialisé.

Dans le bréviaire sur la mondialisation, il y a la concentration gigantesque des capitaux, la domination des centres de production, des marchés et des réseaux d’information et de communication. Tout peut se vendre et s’acheter, les marchandises, les techniques, les capitaux et même les hommes. C’est la séparation entre le capital argent et le capital industriel qui conduit à une spéculation gigantesque et à la fragilisation des systèmes monétaires. L’ampleur des mouvements quotidiens de capitaux, est passée de 15 milliards de dollars en 1975 à 1600 milliards de dollars par jour aujourd’hui, dont 15 % à peine représentent des échanges réels. La spéculation financière, supplante le profit industriel et les activités parasitaires, remplacent les activités productives. La conséquence  est le démantèlement de la législation du travail (chaque année, 500 000 emplois sont supprimés dans les pays de l’OCDE). La croissance, n’est plus couplée à l’emploi et celui-ci, diminue. La croissance, n’est même plus synonyme de développement. Les bas salaires, « sont le seul « atout » des pays pauvres dans la compétition internationale ». Le progrès sans précédent de l’humanité durant le dernier siècle, « s’est traduit par la dégradation de vie  de millions d’hommes dans le Sud et même dans le Nord de la planète, avec le chômage, la pauvreté, l’exclusion, la pollution, la destruction de l’environnement ».

La mondialisation, impose un glissement progressif du « pouvoir politique réel des gouvernements nationaux, vers les nouveaux maîtres du monde, les firmes multinationales et leurs supports techniques (FMI, Banque mondiale et OMC). Il s’agit bel et bien d’un nouvel ordre mondial avec une interdépendance à sens unique, qui s’impose à tous par le rapport de force économique. Le chiffre d’affaires d’une multinationale comme IBM, est plus élevé que le revenu total des deux grands pays d’Afrique, l’Egypte et le Nigéria pris ensemble. Une multinationale relativement petite comme Unilever, produit à elle seule davantage que toutes les entreprises réunies d’un pays comme le Pakistan (150 millions d’habitants).

A la libre circulation « des capitaux et des biens qu’imposent ces monstres froids, correspond l’interdiction de la libre circulation des travailleurs qui sont la principale richesse des pays pauvres ». Tous les pays occidentaux imposent un contrôle rigoureux, de « l’émigration clandestine », en sélectionnant les plus rentables et en renvoyant les autres dans leur pays d’origine. Georges Bush a sollicité et obtenu les crédits nécessaires, pour la construction d’un mur de 1 000 kilomètres, le long de la frontière mexicaine, pour bloquer l’infiltration des étrangers. La logique de la mondialisation impérialiste « accentue les mesures de discrimination, ouvrant la porte au racisme, à la xénophobie et même aux comportements fascistes ». La meilleure réponse des pays du Sud, réside « dans la réalisation de marchés communs, de zones économiques et d’alliance régionales ». Elle réside aussi, dans « la définition de politiques autonomes de croissance appuyées sur les forces internes favorables à l’indépendance nationale ». La mondialisation, n’est pas un choix mais une réalité historique qui s’impose aux peuples qui doivent s’y insérer avec le moins de dégâts et le plus d’avantages. L’auteur pose deux exigences à cela : une volonté politique capable de mobiliser les forces sociales autour d’un projet national, moderne et démocratique et des élites compétentes  qui résistent aux pressions économiques, aux tentatives de corruption matérielle ou politique et capables d’élaborer des stratégies réalistes de croissance, acceptées et soutenues par la population.      

 

Source : Libre-Algérie

 

L’ALGERIE FACE A LA MONDIALISATION. Essai sur les nouveaux masques de l’impérialisme.

Ahmed AKKACHE.

Editions I.A.I.G, Alger. 2009

256 pages

4200 DA.

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