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Publié par Saoudi Abdelaziz

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Emmanuel Maurel est député européen. Il est membre du groupe S&D (Alliance progressiste des socialistes et démocrates) et siège au sein de la Commission commerce international (INTA) du Parlement européen. L'entretien ci-dessous traitera de quatre questions principales : le Traité transatlantique (TAFTA), l'accord de libre-échange avec le Canada (CETA), le TISA (accord de libre-échange concernant le domaine des services), et le statut d'économie de marché qui sera probablement accordé à la Chine fin 2016. Cet entretien sera publié en deux parties.

 

La première partie ci-dessous traite du TAFTA. 

 

Emmanuel Maurel : « quand on négocie le TAFTA avec les États-Unis on a les plus grandes entreprises mondiales en face ».

Propos recueillis par Coralie Delaume*, 7 juin 2016

EXTRAITS

(...) On entend de plus en plus souvent parler du TAFTA dans les médias alors que ce n'était pas le cas au début. Le sujet intéresse. Pour autant, cet accord a-t-il vraiment des chances d'être conclu ? Par ailleurs, qui des américains ou des européens le souhaite le plus ? On prête aux États-Unis un goût prononcé pour le libéralisme économique, mais en l’occurrence, on dirait que c'est surtout l'Europe qui souhaite l'accord. 

Le TAFTA est plutôt une idée européenne en effet, en tout cas au départ. C'est la Commission Barroso qui a ouvert ce débat, en partant du constat d'une croissance faible et d'un niveau de chômage élevé, et parce que les économistes de la Commission sont incapables d'imaginer autre chose que de la dérégulation pour y remédier. Ils ont donc recherché quel était le grand marché qui pourrait tirer la croissance européenne, et dont le modèle serait proche du nôtre. La Commission s'est naturellement tournée vers les États-Unis, d'autant que José Manuel Barroso est lui-même un atlantiste éperdu.

Le problème dans cette histoire, c'est qu'il y a très peu de barrières douanières entre les États-Unis et l'Europe. Le TAFTA est en quelque sorte un traité de libre-échange « nouvelle génération ». La vraie question n'y est plus celle de l'abaissement des tarifs douaniers mais celle de l'harmonisation des normes.

Le TAFTA est donc une idée européenne. Et les États-Unis, qu'on-t-ils à gagner dans l'affaire ?

C'est très simple. L'idée les a enthousiasmés car Obama tente de mettre en place une stratégie « en pinces » dirigée contre la Chine.

L'émergence rapide de la Chine, la perspective qu'elle puisse un jour imposer ses normes commerciales partout inquiète légitimement les États-Unis. Ils cherchent à la prendre en tenailles. Pour ce faire, ils ont d'abord signé le traité transpacifique (TPP : Trans-Pacific Partnership) avec une douzaine de pays. Dans un second temps, ils espèrent signer le traité transatlantique avec l'Europe. La grande idée géopolitique d'Obama, c'est de coincer ainsi la Chine entre deux entités commerciales puissantes.

L'accord transpacifique est donc signé depuis le mois de février …

Il est signé mais pas encore ratifié, pour la bonne raison qu'Obama ne dispose pas de la majorité nécessaire au Sénat. Les sénateurs du Midwest, et plus généralement ceux des États américains producteurs de viande bovine, considèrent que l'accord est insuffisant, et offre trop peu de possibilités d'exportation de viande. 

Par ailleurs, les candidats à la présidentielle américaine, que ce soit Trump, Sanders ou même Clinton, émettent de forts doutes sur le bien-fondé de cet accord.... Bref, l'administration Obama rencontre des difficultés avec le TPP qui était pourtant sa priorité, bien plus que le TAFTA. 

Lequel n'est donc pas prêt de voir le jour, donc. 

On est en certes au 13ème round de négociations, mais il est vrai que ça n'avance guère. Cela tient au contenu du projet d'accord. Il contient d'une part des perspectives d'harmonisation des normes techniques (uniformisation des prises électriques, des pare-chocs de voitures, etc), qui peuvent tout à fait se justifier et qui permettraient de lever certains obstacles à l'échange.

Mais il contient aussi des points bloquants. Certaines questions posent problème, parce qu'elles sont existentielles pour les États-Unis, et relèvent en même temps des « intérêts offensifs » de l'Europe. Je pense notamment à la question des marchés publics américains.

Contrairement à ce que l'on entend souvent, les États-Unis ne sont pas un pays plus libéral ou libre-échangiste que les autres. Ils sont avant tout pragmatiques. Dans ce cadre, leurs marchés publics demeurent très peu ouverts comparés aux marchés publics européens, qui le sont à 95 %. Quand des appels d'offre ont lieu, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau des États fédérés, une grosse portion est réservée aux entreprises locales en vertu du Buy American Act. C'est un vieux texte (1933) mais il est encore en vigueur. Or « l'intérêt offensif » de l'Europe, dans ce cadre, c'est que les entreprises européennes puissent avoir accès aux grands marchés publics américains. Ça, les Américains s'y refusent.

Ils sont donc très protectionnistes !

Ils sont soucieux de leurs intérêts, et se donnent les moyens de les faire prévaloir. L'Europe, c'est précisément le contraire. Exemple assez significatif du fonctionnement de l'Union européenne aujourd'hui : l'affaire des panneaux photovoltaïques. Au début des années 2000, les Européens commencent à mettre en place une industrie photovoltaïque, qui marche très bien. L’Europe représente 70% des nouvelles installations photovoltaïques en 2011 et encore 59% en 2012. Puis arrivent les Chinois, qui inondent le marché avec des panneaux à très bas coûts. Les Européens tergiversent, lancent une enquête pour savoir s'il convient ou pas d’appliquer des mesures antidumping. L'affaire prend dix-huit mois. A la fin, c'est bien simple : il n'y a plus de photovoltaïque européen. Toute cette industrie a coulé.

Aux État-Unis, une chose pareille n'est pas concevable. Quand on y soupçonne une situation de concurrence déloyale, les enquêtes durent deux mois. Au terme de la procédure et si le dumping est avéré, la mise en place de taxes est immédiate. Des taxes douanières qui peuvent croître brutalement de 200, 250, parfois 300 %.

Vous dites que les États-Unis sont pragmatiques. L'Union européenne, elle, est donc engluée dans l'idéologie ? 

Ce n'est pas nouveau. Le libre-échange poussé à l'extrême est dans l'ADN de la construction européenne. Et nos industries en ont énormément souffert. Un débat a lieu en ce moment au sein de l'UE sur la modernisation de nos instruments de défense commerciale, et sur la question de savoir si l'on ne pourrait pas durcir nos mécanismes antidumping. Mais un certain nombre d’État membres, tels la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, dont l'économie est historiquement très extravertie, y rechignent vivement.

Revenons au TAFTA, et à ces négociations qui avancent peu. Vous avez évoqué la question des marchés publics américains comme point bloquant majeur. Quels sont les autres ?

L'autre point d'achoppement relève des « intérêts défensifs » de l'UE. Il s'agit de la question des indications géographiques. En Europe, nous avons beaucoup de produits d’appellation d'origine contrôlée ou protégée. Pour nous, un produit est lié à un territoire et à un savoir-faire particulier : la feta, le parmesan, le roquefort ne peuvent pas être produits partout. Au États-Unis, cette logique est inexistante. On y fabrique du brie dans le Wisconsin et du parmesan dans le Midwest sans aucun problème. Or si l'on accepte d'entrer dans leur logique, cela représente un danger considérable pour certaines de nos productions.

Enfin, parmi les points bloquants figure la question de l'harmonisation des normes, notamment alimentaires et sanitaires. Les Européens ont beaucoup à craindre de l'harmonisation des premières avec celles des États-Unis. On sait par exemple que les Américains nourrissent tout leur bétail au OGM, lavent leurs poulets au chlore etc. Mais il existe aussi des réticentes dans l'autre sens. Par exemple, les États-Unis demandent aux Européens d'être moins laxistes sur la fabrication des cosmétiques, qu'ils considèrent pour leur part comme des produits pharmaceutiques et qu'ils surveillent de très près.

Au final, on ne peut être certain que le TAFTA aboutira. Si tout se déroulait normalement, la ratification n'interviendrait pas, de toute façon, avant 2019 ou 2020. Les rounds de négociation sont très longs car des sujets d'une très grande diversité et technicité sont abordés. Une fois un éventuel pré-accord conclu, la phase de relecture juridique puis de traduction durera au moins un an. Viendra ensuite la phase de ratification par l'Union européenne et par les États-membres.

Les États seront donc consultés ? Les Parlements nationaux voteront ?

Oui car le TAFTA est en principe conçu pour être un accord mixte, qui devra faire l'objet d'une double ratification. Ce n'est pas le cas de tous les accords, et les traités sont sur ce point quelque peu ambigus. Le Traité sur le fonctionnement de l'Union (TFUE) indique que c'est au Parlement européen de ratifier les accords de libre-échange. C'est d'ailleurs un progrès considérable introduit par le traité de Lisbonne. Le Parlement a désormais le droit de vie ou de mort sur ce type d'accords. Avant, c'est le Conseil qui les validait à la suite de débats a minima.

Le traité précise ensuite que certains domaines peuvent être de la compétence exclusive de l'Union, cependant que d'autres relèvent d'une compétence partagée avec les États. Dans le second cas, le niveau de ratification est double. Ce sera très vraisemblablement le cas pour le TAFTA.

Source : arene-nue.blogspot.fr

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*Coralie Delaume, auteur de Europe : les États désunis, Paris, Michalon, 2014

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