Nouredine Bouderba alerte sur le recul du travail féminin
"En 2015, sur 100 femmes, moins de 14 sont occupées, 3 sont au chômage, 14 poursuivent leurs études, alors que 69 sont déclarées inactives, dont 4 sont situées dans le “halo du chômage”, c'est-à-dire des personnes en âge d’activité, disponibles pour travailler, mais non classées dans le chômage, car n’ayant pas effectué des démarches effectives de recherche d’emploi durant le mois précédent."
Interview par Hafida Ameyar, 25 janvier 2016. Liberté
EXTRAITS
Sur quelle base vous fondez-vous pour parler de faiblesse des taux de participation et d’emploi, notamment chez les femmes ?
Le niveau d’intégration de la population en âge de travailler à la vie active reflète le dynamisme de toute société et constitue un défi pour tous les gouvernements. Le taux de participation dépasse en moyenne 60%, dans tous les pays membres de l’OCDE, et 50% dans les pays comme la Tunisie, le Maroc et l’Égypte. Pour l’Algérie, le retard réside surtout au niveau de la population féminine. Malgré les efforts consentis et les résultats obtenus dans le domaine de l’éducation, beaucoup reste à faire en matière d’intégration de la femme au travail, où le taux d’activité enregistré par l’ONS est de 16,4%. Selon le dernier rapport du PNUD, ce taux dépasse 25% dans chacun des pays voisins. Même les jeunes filles âgées entre 15 et 24 ans, avec un taux de 8,8%, sont très faiblement intégrées et ce n’est pas dû uniquement à “une forte scolarisation” comme l’expose l’ONS. Car, s’il est vrai que 6 jeunes filles sur 10 poursuivent toujours leurs études (contre la moitié des jeunes garçons), elles sont 3 jeunes filles sur 10 à n’être ni actives ni étudiantes, et cataloguées “femmes au foyer” par l’ONS. Je pense que ce problème est sous-estimé, y compris par les militants et militantes féministes, qui semblent satisfaits du taux de 16%. Ce taux n’est pas à la hauteur du potentiel de modernité algérien. Il n’est pas inutile de rappeler que déjà en 1998, ce taux était de 17%... Comme quoi, la parité ne se décrète pas, mais se construit, en agissant sur les conditions objectives qui favorisent l’insertion de la femme dans la vie active.
Par exemple ?
Renforcer la lutte effective contre les discriminations et le harcèlement au travail, améliorer les prestations de maternité, rendre possible l’aménagement du temps de travail des femmes qui allaitent ou élèvent des enfants, construire des crèches pour combler le déficit déclaré de 55 000 crèches. Savez-vous qu’en Europe, des études menées par des bureaux de consulting séniors ont conclu que les coûts d’investissement et d’exploitation des crèches d’entreprises sont largement rentabilisés par les économies réalisées sur l’absentéisme. En Algérie, plus que l’absentéisme, il s’agit de valoriser 50% du potentiel productif du pays et d’émanciper la moitié de la population.
Qu’est-ce qui vous fait dire que le taux de chômage est sous-estimé par la méthodologie exclusive du BIT ?
L'ONS ne considère comme chômeurs que les individus âgés de 15 à 59 ans, disponibles et ayant effectué une démarche pour trouver un travail durant la période du sondage. Tous les autres sont donc considérés comme des inactifs. Or, une partie importante de personnes, qui désirent travailler, pensent qu’il n’y a pas d’emplois disponibles pour elles. Personne n’ignore, par exemple, que les relations familiales et personnelles jouent un rôle déterminant dans les recrutements, d’où le découragement de ceux qui n’ont personne sur qui compter. Pour avoir une image de la réalité, en 2015, sur 100 femmes, moins de 14 sont occupées, 3 sont au chômage, 14 poursuivent leurs études, alors que 69 sont déclarées inactives, dont 4 sont situées dans le “halo du chômage”, c'est-à-dire des personnes en âge d’activité, disponibles pour travailler, mais non classées dans le chômage, car n’ayant pas effectué des démarches effectives de recherche d’emploi durant le mois précédant l’enquête. Les 65 femmes restantes sont considérées comme des “femmes au foyer”. J’ajouterais encore que le taux de chômage, après avoir été stabilisé autour de 10% durant la période 2009-2013, repart à la hausse en 2014 et 2015. Avec l’austérité entamée, la décision de bloquer les recrutements dans la Fonction publique et de ne plus renouveler les CDD (contrats à durée déterminée, ndlr) et les contrats aidés arrivés à terme, l’annulation ou le report d’un certain nombre de projets, il y a lieu de s’inquiéter sur un envol exponentiel du taux de chômage, particulièrement des jeunes, qui est déjà à un niveau alarmant.
Texte intégral de l'interview : Liberté