En Algérie comme en France, les binationaux sont floués
La controverse suscité par l'article 51 du projet de révision constitutionnelle, fermant aux binationaux l'accès " aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques". Pour désamorcer, Bouteflika corrige et botte en touche : "La loi déterminera la liste des hautes fonctions de l'Etat". Quid des "fonctions politique"?
En France, dans ce domaine, on pratique la discrimination à l'égard des binationaux, mais sans la mettre dans la Constitution. Ici, l'exclusion se fait en douceur. Hicham M. qui a voulu vainement engager une carrière dans un secteur de souveraineté de l'administration française, tire cette leçon : "Les pays ayant fait le choix d’interdire la double nationalité ont au moins le souci de ne pas flouer leurs ressortissants sur ce qu’ils estiment être leur devoir d’allégeance".(Lire témoignage ci-après)
En France, la bi-nationalité est une exigence de survie pour les jeunes algériens de base. Exigence, depuis le financement des études jusqu'à l'accès à l'emploi public ou à l'expression de la citoyenneté politique. La fonction publique reste fermée aux enfants de ressortissants algériens non binationaux. Même une animatrice de crèche municipale doit avoir la nationalité. Personnellement j'avais perdu, il y a une vingtaine d'année, un emploi de petit journaliste dans un journal local ayant un statut associatif, après que le maire ait mis fin aux subventions et décidé de le municipaliser. Il fallait disposer de la nationalité française pour être gardé. Ayant eu, deux années avant l'indépendance, la carte d'identité de "français musulman", l'acquisition de la nationalité était pour moi relativement une simple formalité, mais je ne l'ai jamais demandé. Question de génération et de tempérament?
Dans la recherche d'un emploi dans des secteurs de souveraineté, où ils souhaitent faire carrière, les jeunes binationaux subissent le même traitement que s'ils étaient de simples ressortissants algériens.
Témoignage publié dans la presse française:
« Nous ne pouvons accepter de stagiaire ayant la double nationalité »
Par Hicham. M., 12 février 2014
Jamais auparavant mon nom n’avait suscité davantage qu’une simple curiosité, un amusement. Les récits de délits de faciès qui émaillent les médias ne me concernent pas et le terme « discrimination » ne fait pas partie de ma vie. Mon expérience, si elle ne constitue pas un drame, m’en apparaît d’autant plus navrante.
Etudiant en master spécialisé dans les questions de sécurité et de défense, je m’étais porté candidat à un stage au sein de l’état-major des armées, qui dépend du ministère de la Défense.
Quelques mois plus tard, je reçois un courriel d’une personne de cette institution. Mon profil l’intéresse pour un stage. Après un bref échange, elle m’indique que mes disponibilités semblent correspondre avec les besoins du service. Elle s’empresse d’ajouter :
« Cependant, j’ai besoin de connaître votre nationalité. Mes excuses pour cette question un peu cavalière, mais nous ne pouvons accepter de stagiaires ayant une double nationalité. »
« Les règles sont très strictes »
Cette question soudaine me laisse penser qu’un supérieur a remarqué la consonance exotique de mon patronyme et l’a incitée à se renseigner. Peu importe. Inutile de lui cacher un détail qu’une simple enquête administrative aurait tôt fait de révéler. En effet, je suis titulaire de la double nationalité, française et... d’un pays extra-européen.
Elle me répond immédiatement :
« Merci pour votre retour. Effectivement, les règles de sécurité relatives au recrutement au sein du MinDef sont très strictes. »
Ainsi donc, le ministère de la Défense élimine d’office des candidatures émanant de citoyens français, en arguant de « règles de sécurité » qui ne l’autoriseraient pas à recruter des binationaux. Même pour un simple stage de trois à six mois, ce qui accentue le caractère grotesque de cet excès de zèle.
Certes, l’institution travaille sur des sujets « sensibles », réclamant de la discrétion. Mais que dit la loi ? Travailler dans un organisme d’Etat sur des questions de défense nécessite d’obtenir une habilitation de sécurité. Dans le cas d’un stage de six mois, celle-ci est très rarement supérieure au niveau « confidentiel défense », soit le premier niveau d’habilitation :
« Informations et supports dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale classifié au niveau très secret-défense ou secret-défense. »
C’est le ministre qui signe l’habilitation, décision prise en pratique par un haut fonctionnaire. Elle découle d’une enquête de sécurité préalable visant à déterminer les « vulnérabilités potentielles » autour du candidat : famille, fréquentations, expériences professionnelles passées, etc.
Aucun texte (public) ne le précise
Les ressortissants étrangers sont soumis à une procédure d’habilitation spécifique, beaucoup plus contraignante. Mais aucun texte porté à la connaissance du public ne précise que les binationaux titulaires de la nationalité française ne peuvent être habilités.
J’ai pourtant fouillé le site du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale et le code de la défense. Il n’y a rien. Il se peut que la décision d’exclusion des binationaux ait fait l’objet d’une circulaire ministérielle. La moindre des choses eût été d’en informer le public. Mais il faut croire que l’arbitraire ne s’encombre pas du minimum.
Que la binationalité puisse être considérée comme un possible vecteur de vulnérabilités à prendre en compte n’est pas choquant. Il en va de même pour bien d’autres éléments de l’état civil, comme le fait d’être marié ou non. Ce qui surprend est le caractère rédhibitoire de la binationalité, qui pousse le ministère à exclure d’emblée les dossiers de leurs détenteurs comme s’ils portaient trace d’un casier judiciaire.
En quoi ma possession d’un passeport étranger le regarde-t-il ? Si je suis considéré comme Français à part entière, de quel droit peut-on me rétorquer immédiatement « Oui, mais bon, pas vraiment en fait... » ?
Classer les citoyens français
L’Etat français fait preuve d’une incohérence manifeste en tolérant la binationalité tout en écartant ses titulaires de certains pans de l’administration, sous le prétexte fallacieux de mesures de sécurité. Pensant lire le degré de loyauté et de « sens de l’Etat » sur les états civils, il s’arroge le droit de classer les citoyens français en catégories et sous-catégories.
Les pays ayant fait le choix d’interdire la double nationalité ont au moins le souci de ne pas flouer leurs ressortissants sur ce qu’ils estiment être leur devoir d’allégeance. Hypocrite, la France soutient mordicus que la République n’a pas d’yeux différenciant ses enfants, sauf à chaque fois qu’elle en a.
En définissant des critères arbitraires excluant automatiquement certaines catégories d’individus, l’armée française se prive d’éléments qui pourraient lui apporter beaucoup. Tant pis pour elle.
Quand elle pliera sous les coups des restrictions budgétaires prévues dans la Loi de programmation militaire 2014-2019, quand elle dépendra presque intégralement des moyens des puissances extérieures comme les Etats-Unis (qui eux se montrent beaucoup plus pragmatiques à l’endroit des binationaux), elle se souviendra de l’absurdité de sa politique de recrutement.
A ceux qui me rétorqueront que ces remarques ne sont que le produit de la rancœur, je répondrai que celle-ci peut être salutaire si elle souligne des dysfonctionnements dans un système qui se prétend équitable. Pour ma part, j’ai renoncé à une carrière dans l’administration publique et m’en porte mieux que jamais.
SOURCE : rue89.nouvelobs.com