MAROC. "La campagne des municipales est mal partie"
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"Les gens au pouvoir essaient de nous faire fuir le champ politique"affirme Nabila Mounir. Première femme marocaine à la tête d'un parti, elle dirige la campagne de la Fédération de la gauche démocratique pour les élections municipales et régionales qui auront lieu le 4 septembre prochain. Son diagnostic sur la situation politique? "C'est mal parti. Pourquoi vous dis-je qu'aujourd'hui c'est pire qu'en 2011 ? Parce que les libertés reçoivent un sacré coup ! Toutes sortes de libertés. La liberté de manifester, la liberté d'expression, d'opinion. On a l'impression qu'on revient aux années de plomb".
Elue secrétaire générale du Parti socialiste unifié en 2012, Nabila Mounir devient la première femme marocaine élue à la tête d'un parti politique. Elle est professeur d'endocrinologie à l'université de Casablanca.
INTERVIEW
Nabila Mounib : "le Maroc fait du surplace mais le mur de la peur est tombé"
Par Ilhem Rachidi 28 août 2015 Mediapart
Vous êtes la première femme à avoir été élue à la tête d'un parti au Maroc. Et le parti que vous dirigez est dans l'opposition. Avez-vous le sentiment que c'est un atout ou un handicap d'être une femme ?
Nabila Mounib. Être la première femme élue à la tête d'un parti, c'est une grosse responsabilité mais c'est aussi une réalisation. Nous sommes au Maroc. Les femmes ont réussi dans beaucoup de domaines mais le nombre n'y est pas. Il fallait une réussite politique. Voir une femme à la tête d'un parti dans un pays conservateur, c'est important. Mais ce n'est pas tout à fait exceptionnel dans la mesure où les femmes ont toujours milité.
Dans mon parti, il y avait des femmes avant-gardistes, à l'Union de l'action féminine (UAF), notamment. Elles avaient pu rassembler un million de signatures au début des années 1990 pour la révision de la Moudawana (code de la famille), ce qui à l'époque était incroyable. Elles étaient de tous les combats pour que la culture de l'égalité progresse dans notre pays, pour qu'il y ait des acquis, des droits et également l'accès des femmes aux centres de décision. Mon élection, c'est le résultat d'un travail mené sur plusieurs décennies... Moi, je n'ai pas de problème. Mais assez souvent, je suis confrontée à des problèmes marginaux qui ne devraient même pas exister.
Cette fois, les trois partis présentent exceptionnellement une liste commune avec un même symbole et des candidats uniques sous l'étiquette Fédération de la gauche démocratique. Comment vous a-t-on laissé faire ça ?
La fédération, c'est nous qui l'avons constituée pour rentrer dans cette campagne avec des candidats uniques. On a dû jouer avec la loi. La loi sur les partis politiques nous empêche de présenter des listes panachées... On s'est présentés en tant que coalition de trois composantes. D'ailleurs, nous avons eu des problèmes pour le financement. Ils nous embêtent, ils adorent nous embêter ! Il y a une phobie face à l'émergence de toute force ou tout mouvement qui pourrait changer la donne. Donc chaque fois qu'il y en a une qui apparaît, comme ça a été le cas avec le Mouvement 20-Février, tout est fait pour l'affaiblir et la pousser à disparaître.
Pensez-vous que ce Mouvement du 20-Février a disparu ?
Pas du tout ! Le Mouvement 20-Février a marqué le départ d'une nouvelle étape au Maroc. Le mur de la peur est tombé et les jeunes se sont réconciliés avec la chose politique. Pour nous, c'est un très grand pas vers le renforcement de la lutte politique.
Vous aviez décidé en 2011 de boycotter le scrutin législatif. Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer cette fois-ci ? N'aurait-il pas été plus judicieux de vous lancer à ce moment-là, lorsque le Mouvement du 20-Février était avec vous et que vous étiez plus forts ?
Il y a quatre ans, on était plus forts... c'est votre avis. On était dans la rue et la pression se faisait dans la rue. La rue a pu réaliser une chose importante : elle a poussé les gens qui gouvernent à ouvrir, malgré eux, un débat sur la constitution. C'est une brèche. Mais aujourd'hui, le Maroc fait du surplace, malgré les grands chantiers qui ont été lancés. Il y a toujours autant de disparités sociales, et surtout, il n'y a pas de démocratie. Il y a une concentration du pouvoir et une récession culturelle terrible. On nous dit : « Voyez ce qui s'est passé dans les pays en révolte ! » Mais dans les pays en révolution, personne n'a laissé ces révolutions aller jusqu'au bout. Il y a eu des contre-révolutions et l'intervention de l'impérialisme et d'autres forces qui ont défendu leurs intérêts géostratégiques.
Mais quelque chose s'est passé dans tous ces pays et au Maroc. Il y a une nouvelle gauche qui émerge et des révolutions citoyennes. Ce monde est en ébullition et nous voulons en faire partie pour essayer de trouver la brèche pour permettre l'instauration de la démocratie, sortir de ce chaos.
« Nous n'allons pas nous taire »
Des militants de Annahj Addimocrati (La Voie démocratique, marxiste) ont été réprimés alors qu'ils distribuaient des tracts défendant le boycott. Ne pensez-vous pas que cette campagne est mal partie ?
C'est mal parti. Pourquoi vous dis-je qu'aujourd'hui c'est pire qu'en 2011 ? Parce que les libertés reçoivent un sacré coup ! Toutes sortes de libertés. La liberté de manifester, la liberté d'expression, d'opinion. On a l'impression qu'on revient aux années de plomb. Et tout ça avec la bénédiction du gouvernement. Lui, ce qui l'intéresse, c'est de durer, de placer ses amis dans les postes administratifs intéressants pour « islamiser » l'État et préparer sa mainmise sur tous les domaines.
Vous ne regrettez pas votre participation aux élections, dans ce contexte ?
Pas du tout. J'ai condamné [cette répression] et il faut continuer. En agissant comme ça, les gens au pouvoir essaient de nous faire fuir ce champ politique. Au contraire, cela doit nous encourager à plus de détermination.
Pourquoi la contestation n'a-t-elle pas réussi au Maroc ?
Cela n'a pas marché parce que les forces démocratiques n'ont pas toutes été au rendez-vous. Et parce que le système avait déjà préparé toutes ses armes pour contrecarrer les forces d'opposition. Lors d'une conférence, j'avais dit que pour le Makhzen, les Jeunes du 20-Février, c'était des petits fous. Le Makhzen a usé de tous les moyens. On a trouvé du boulot à certains, on en a tapé d'autres, envoyé d'autres en prison. Et on a surtout privé le Mouvement 20-Février de soutien. On a neutralisé les syndicats pour qu'ils ne rejoignent pas le camp des contestataires. On a promis la lune aux participationnistes (le PPS, l'USFP). Même les partis qui les ont soutenus, comme le mien, n'ont pas mis à la disposition de ces jeunes toute leur expérience. Les Jeunes du 20-Février avaient beaucoup de courage, avec de superbes idées mais ils étaient inexpérimentés. Et ils manquaient un peu d'humilité. Tous les vieux, ils voulaient les effacer de la planète.
Depuis quelque temps, le roi Mohammed VI a changé de ton dans ses discours. Il s'exprime comme un citoyen, voire comme un opposant. Il critique la corruption, par exemple. Que signifie ce changement ?
La ligne de ses discours a changé depuis pas mal de temps. Nous, ce qui nous intéresse, c'est qui détient le pouvoir et ce qu'on en fait. De beaux discours, c'est très bien. Mais ça ne change pas grand-chose. Ce qui peut changer les choses, ce sont de nouvelles pratiques, c'est mettre le Maroc sur la voie de la démocratie c'est-à-dire organiser la séparation des pouvoirs. Ce serait une reconnaissance de la pleine citoyenneté du Marocain. Il faut aussi combattre de manière féroce la corruption.
N'avez-vous pas peur de vous faire happer par le système, comme tant d'autres ?
Pas du tout. Nous luttons sur des points précis. Par exemple, nous préparons notre document sur la constitution. Et nous n'allons pas nous taire.
Source: Mediapart.fr