ALGERIE. Vers un plus grande et violente emprise des grands prédateurs?
La raréfication actuelle des ressources fait que si la conduite des affaires du pays est abandonnée aux grands prédateurs, pour Arezki Derguini, député du FFS, "il n'y a aucun doute qu’elle visera à soumettre les ressources nationales, humaines et matérielles, à une plus grande et violente emprise de leur part". L'alternative pour les Algériens selon lui c'est "Choisir de produire de nouvelles richesses ou entrer en guerre pour se disputer les dernières richesses collectives". Le député jette un cri d'alarme : "Toutes choses égales par ailleurs, avec la stabilisation du prix du pétrole au niveau actuel dans la future décennie, on peut dire que nous sommes placés devant l’alternative suivante : aller tout droit vers une guerre civile ou bifurquer, changer de mentalité, pour trouver la paix civile. Persister dans la mentalité du bien vacant ou en sortir".
Administrer nos compétitions, échanger nos populations
Par Arezki Derguini, député FFS de Béjaïa, 24 janvier 2015
EXTRAITS
Nous sommes à nouveau mis à l’épreuve de transformer une faiblesse en force. Suite au ralentissement de la croissance mondiale, suite à l’émergence d’une nouvelle géopolitique des hydrocarbures, la baisse du prix de pétrole effraie beaucoup, de ce qu’elle pourrait signifier en termes d’intensification et de dégradation de la compétition sociale. La raréfaction des ressources conduirait, toutes choses égales par ailleurs, à une transformation de la compétition en guerre civile.
C’est là en effet, du point de vue des grands prédateurs, une extrapolation réaliste. Si la conduite de la compétition leur est abandonnée, il n’y a aucun doute qu’elle visera à soumettre les ressources nationales, humaines et matérielles, à une plus grande et violente emprise de leur part.
D’un autre point de vue, celui de la masse des citoyens, prédateurs ordinaires, il s’agit là d’un scénario extrême. L’extension de l’emprise des grands prédateurs ne permettra pas l’organisation de la compétition de sorte à ce que la répartition de ses fruits soit équitable. Le détour de la production ayant été court-circuité par l’ancienne abondance des ressources, la guerre civile sera le nécessaire passage obligé d’une telle emprise.
Mais la guerre civile est-elle inéluctable ? Non. A condition cependant qu’une certaine rupture ait lieu avec les pratiques du passé. On pourrait résumer cette rupture dans une transformation de la mentalité sociale : sortir de la mentalité du bien vacant que nous avons hérité du colonialisme. Il faudrait pour ce faire ne pas soumettre nos compétitions à l’intérêt de quelque puissance étrangère par l’intermédiaire d’une administration qui en échange de notre sécurité physique drainerait pour elle nos ressources afin d’y prélever son revenu (1). Il faudrait que nous puissions rester maîtres de nos compétitions, de leurs enjeux et résultats. Il va sans dire que la société civile se trouve au premier rang d’un tel combat. C’est elle qui se trouvera la première à faire face aux grands prédateurs. Se trouveront tout d’abord exposés, ces producteurs qui ont investi dans le « capital travail » (savoir faire), qui ont opté pour le détour de la production en prévision de la venue de la période des vaches maigres(2).
Ensuite il faudrait que le citoyen ordinaire, se transforme de prédateur en travailleur, en protecteur de la nature (3). Le comportement prédateur des citoyens, leur défiance générale, vis-à-vis d’eux-mêmes et de l’avenir, tout cela anticipait largement une catastrophe vers laquelle ils se précipitaient. Ils refusaient de se dresser contre un tel cours pour que cela ne profite pas à quelque « voyageur du soir » ou « passager clandestin ». Ils attendaient que le mouvement s’arrête pour tous afin de rester sur un pied d’égalité (4). Ils amassaient, ils thésaurisaient sans se préoccuper de l’avenir, du travail et de ressources durables. Les richesses étaient là, elles n’étaient pas à produire. Travailler (produire pour s’approprier) était synonyme de nager à contre courant et de s’épuiser. Sauf à loger dans quelques niches protégées de l’import substitution. Une certaine catastrophe était donc prévisible et attendue. Mais moins la guerre civile que la majorité ne souhaite pas. Ce n’est pas pour cela qu’elle n’adviendra pas, ni qu’il soit tout à fait possible de dire la manière dont elle pourrait arriver. La précipitation du cours des choses peut parfaitement y conduire.
Que les citoyens aient renoncé à changer le cours des choses pour ne pas laisser échapper leur part du butin, qu’ils aient anticipé la catastrophe, ne signifie pas qu’ils ont une claire conscience de l’avenir. On ne peut pas le dire, puisqu’ils ne l’ont pas préparé et qu’ils ne sauraient le reconnaître même s’il venait à eux. Ils se sont préparé à un choc, pas à une issue. Juste qu’ils allaient parvenir à un nouveau carrefour, après celui de l’indépendance, où ils devront infléchir leurs comportements dans le sens d’un changement de cap ou raidir certains de leurs traits. Choisir de produire de nouvelles richesses ou entrer en guerre pour se disputer les dernières richesses collectives. Administrer nos compétitions de sorte à produire de nouvelles richesses et à les répartir de manière équitable ou achever l’appropriation privée des derniers « biens vacants », multiplier les destructions et laisser éclater les rapports de force à ciel ouvert.
Toutes choses égales par ailleurs, avec la stabilisation du prix du pétrole au niveau actuel dans la future décennie, on peut dire que nous sommes placés devant l’alternative suivante : aller tout droit vers une guerre civile ou bifurquer, changer de mentalité, pour trouver la paix civile. Persister dans la mentalité du bien vacant ou en sortir. (...)
Notes
[1] « On va vous empêcher de vous battre et vous nous laissez être et subvenir à nos besoins ».
[2] En reprenant la tripartition de l’économie de Fernand Braudel, on peut dire que pour sortir d’une telle mentalité de bien vacant, éviter la guerre civile, il faudrait une société marchande suffisamment forte pour empêcher un capitalisme d’Etat de soumettre la vie matérielle à une grande prédation. Le capitalisme d’Etat est par nature prédateur des grands profits, pas nécessairement de la nature. Mais dès lors qu’il ne peut s’appuyer sur une forte société civile, il ne peut que détruire la vie matérielle qu’il exploite de manière minière.
[3] L’homme a domestiqué des espèces sauvages d’abord pour empêcher leur disparition, il les a cultivé ensuite pour les multiplier.
[4] Egaux jusque dans le malheur.