7 Décembre 2012
DR-« Entre le cynique, qui ne croit pas un mot de
ce qu’il dit, et le nihiliste, qui ne croit plus en
rien, voici venu le temps des militantismes incrédules ».
Il faut reconnaître que cette époque n’est pas propice à l’engagement crédule. Le spectacle du cynisme, à l’œuvre dans les sociétés riches et vieillissantes
autant que chez les nouveaux ou ex-révolutionnaires, est le principal recruteur des nihilismes militants. Qui prennent parfois avec trop d’enthousiasme le relais des désillusions. Une situation
propice à un renouveau, parfois monstrueux, du militantisme. Mais, faut-il espérer, renouveau également du côté d’un militantisme à la fois humaniste et délibérément incrédule. Mais à rebours du
double écueil du cynisme et de la crédulité.
Le cynisme contemporain est, depuis la crise financière, représenté sous les traits du trader sans scrupule. Et depuis les « révolutions colorées », sous le
double masque du dirigeant brutal et avide de pouvoir, et de celui de son successeur. Les deux, parfois prêts à tous les massacres pour vaincre. Pourtant, de Ceausescu à Kadhafi, réalités et
fictions se fondent dans la dictature des lectures imposées. Il faut également passer au travers de
l’épreuve du spectacle quotidien du loft politique global. Du tricheur Copéiste au frère-fouettard Morsien. Sans oublier de faire une
place de choix au personnage incomparable de l’opportuniste Bouteflikien. Qui attend juste de connaître le nom du successeur
caché dans les plis du quatrième mandat. Qu’il sera le premier à rallier. En commençant par s’y opposer de toutes ses forces. Ainsi vont les choses depuis que promoteurs de la charia et
sauveteurs de la République ont décidé de confier aux armes le soin d’instaurer la loi des quottas politiques. A l’ombre des affairistes. Et sans autre notion de contrat que celui que l’on lance
contre l’adversaire. Aux militants à la fois lucides et sincères il reste à affronter les durs combats au quotidien, avec leur lot de vicissitudes et de petites victoires-inestimables- remportées
contre la lassitude et les abandons. Le tout à une époque en pleine furie du tout médiatique. Sans véritable garantie quant aux conditions de l’exercice du métier d’informer ou du droit à être
informé.
Il ne reste, de ce qui était présenté au lendemain d’octobre 88 comme une « aventure intellectuelle », le plus souvent qu’un exercice mercantile au service de
tous les
marchandages. Et dans le vaste monde, Il faut
désormais compter avec la mise en scène de la perversion quasi-générale. Si l’affaire Murdoch a fait scandale dans l’univers des médias, la
mise en cause de la BBC, dans une série d’affaires allant de la pédophilie aux
dérapages dans le traitement de l’information, laisse dans son sillage un profond sentiment de fin d’époque. Un climat globalement malsain qui génère dans un même mouvement les empires
impitoyables, leurs dictateurs choyés brutalement livrés à la vindicte publique, et leurs contestataires véhéments qui deviendront des remplaçants dociles. De quoi douter même des bonnes
nouvelles.
Il faut, sans doute à juste titre, se féliciter du statut d’Etat observateur que la Palestine vient d’acquérir au sein des Nations-Unies. Mais au terme de 60
ans de colonisation, de massacres et de souffrances… Comme elle semble dérisoire cette reconnaissance ! Dans un climat international où
un siège de plein droit aux Nations-Unies n’a protégé ni la Côte d’ivoire, ni la Libye ni la Syrie des dérives sanglantes. Pour probablement de longues années et avec, à terme, un risque certain
d’éclatement. Les amis de la Palestine, comme ceux de la Libye ou de la Syrie, ont trop d’intérêts à faire fructifier à l’ombre des guerres pour être crus sur parole.
Entre le cynique, qui ne croit pas un mot de ce qu’il dit, et le nihiliste, qui ne croit plus en rien, voici venu le temps des militantismes incrédules.
Salima Ghezali, 5 décembre 2012. La Nation.info