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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

La crise européenne réveille le spectre de Karl Marx

Depuis la chute du mur de Berlin, on le croyait mort et enterré. Or la crise prolongée du capitalisme financier ne cesse de le ressusciter. "Marx est mort",clamait le philosophe Jean-Marie Benoist, en 1970. "Dieu est mort, Marx est mort et moi-même, je ne me sens pas très bien", ajoutait avec humour le cinéaste Woody Allen... Nietzsche nous avait prévenus : "Dieu est mort : mais, puisque sont ainsi faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre"...

Et voici que Karl Marxrevient nous hanter. Ou plutôt nous éclairer. Car les communistes militants ne sont plus les seuls à en faire une boussole pour notre temps. Les néolibéraux s'en emparent aujourd'hui. Les essayistes Alain Minc ou Jacques Attali, peu connus pour avoir animé des stands prolétariens à la Fête de L'Humanité, lui ont consacré des analyses et biographies. Bien sûr, ceux-ci s'intéressent davantage au Marx qui fit l'apologie de la bourgeoisie et du libre-échange qu'au théoricien d'un monde où les classes sociales seraient abolies. Mais le fait qu'un journal comme Le Monde publie un hors-série intitulé Marx, l'irréductible est un signe des temps. Car Marx est devenu un classique.

En effet, il est possible aujourd'hui de s'y référer sans être relégué du côté des affreux jojos du soviétisme, des amoureux des défilés militaires de la Corée du Nord ou des adeptes du stalinisme tropical. Car il convient de défendre Marx contre le marxisme. D'ailleurs le vieux Karl l'avait dit à la fin de sa vie : "Tout ce que je sais, c'est que je ne suis pas marxiste. " Bien sûr, les ambiguïtés de sa pensée ne sont pas levées, comme son économisme ou sa façon de réduire les droits de l'homme à la défense de "l'homme égoïste" de la société bourgeoise. Mais, dégagé de l'idéologie, Marx permet de penser nos temps de crises en série.

La critique du fétichisme financier est chez lui portée à son acmé. Exilé à Londres, il s'est beaucoup intéressé aux paniques financières de la City - en 1857, 1866 et 1873 - qui rappellent singulièrement les nôtres. Il a vu la manière dont est né "tout un système de filouterie et de fraude au sujet d'émission et de trafic de titres" bancaires mais aussi que, chez le rentier "l'argent acquiert la propriété de créer de la valeur tout aussi naturellement que le poirier porte des poires".

 

L'illusion politique

 

C'est en tout cas dans ce contexte qu'Actuel Marx fête ses 25 ans. Dans une correspondance avec le cofondateur de la revue Jacques Texier, l'historien François Furetexplique que Marx n'est paradoxalement pas un penseur de l'égalité, mais qu'il cherche surtout à dévoiler "l'aliénation de l'homme moderne dans l'illusion politique".

Les contributions sont prestigieuses : André Gorz (sur l'écologie politique), Judith Butler(sur la violence d'Etat), Jacques Rancière (sur la politique de l'art), Axel Honneth(sur la philosophie sociale)... De son côté, le philosophe Etienne Balibar remarque que l'idée communiste n'est pas morte. Qu'il soit conçu selon lui comme "une alternative au populisme", ou qu'il prenne la forme d'une "démocratie radicale" (Chantal Mouffe), le communisme n'a donc pas disparu du vocabulaire de notre monde post-soviétique. La preuve : née aux éditions L'Harmattan en 1987 puis éditée aux Presses universitaires de France, Actuel Marx a gagné en âge et en légitimité.

 

Nicolas Truong, 17 décembre 2011. Le Monde des livres

 

 

Deux petits post scriptum

 

1/ Ce que disait Marx de l’aristocratie financière, à la laquelle se dévouent, après Galbraith, les économistes Alain Minc et Jacques Attali :

« Pendant que l'aristocratie financière dictait les lois, dirigeait la gestion de l'État, disposait de tous les pouvoirs publics constitués, dominait l'opinion publique par la force des faits et par la presse, dans toutes les sphères, depuis la cour jusqu'au café borgne se reproduisait la même prostitution, la même tromperie éhontée, la même soif de s'enrichir, non point par la production, mais par l'escamotage de la richesse d'autrui déjà existante.

C'est notamment aux sommets de la société bourgeoise que l'assouvissement des convoitises les plus malsaines et les plus déréglées se déchaînait, et entrait à chaque instant en conflit avec les lois bourgeoises elles-mêmes, car c'est là où la jouissance devient crapuleuse, là où l'or, la boue et le sang s'entremêlent que tout naturellement la richesse provenant du jeu cherche sa satisfaction ».

Karl Marx. La lutte des classes en France

 

2/Ce que pensait en 1964 l’artiste Asger Jorn, un des plus grands peintres et sculpteurs du 20ème siècle, de l’utilisation de Karl Marx par un des théoriciens de l’ultralibéralisme.

« John Kenneth Galbraith occupé pendant la guerre dans l’administration des bombardements stratégiques, officier de la Sécurité militaire, médaillé comme il se doit, avoue dans son livre The Affluent Society que le capitalisme moderne, en se croyant toujours anti-socialiste,  se cramponne aujourd’hui à quelques dogmes parmi les plus évidemment marxistes, en ignorant leur origine, et toujours en maudissant Karl Marx ».

Asger Jorn. Discours aux pingouins et autres écrits  (p 298). Ecrits d’artistes, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris, 2001.

 

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