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En décidant envoyer des missiles sol-air Patriot
avec 400 soldats à la frontière syrienne de la Turquie,
le gouvernement Merkel est le premier pays à s'engager
Le complexe militaro-industriel semble susciter une nouveau pas pour
réveiller
le militarisme allemand endormi depuis 1945. Article du Der spiegel.
Guerre et armement : la doctrine
Merkel
Par Jakob Augstein, Der
spiegel
Près de la moitié des exportations d'armes allemandes partent dans des Etats qui
ne sont membres ni de l'UE ni de l'OTAN. Plutôt que d'aller se battre, mieux vaut livrer des armes à ses alliés, même si ce sont des dictatures. Telle est la politique de la
chancelière.
S'il y a une chose que les Allemands savent bien faire, ce sont les blindés. Dans toutes les variantes, avec des roues, avec des
chenilles, pour le combat, pour le transport. Tout ce qui prévaut pour l'automobile allemande - progrès de la technique, plaisir de conduire - s'applique également et surtout aux blindés
allemands : si c'est du bon, c'est du teuton. Les Allemands pourraient être fiers de leurs blindés. Ils ne le sont pas. Si on posait la question aux gens, la plupart seraient contre les ventes
d'armes. Quand on est un tant soit peu sain d'esprit, on ne souhaite pas gagner de l'argent sur la mort des autres. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : fabriquer un bon blindé signifie qu'il
tue bien.
C'est là un mot
impropre. Dans le commerce des armes, on ne parle pas de tuer, on préfère utiliser le mot de "responsabilité." Comme dans ce discours mémorable qu'Angela Merkel a tenu il y a un an, s'étendant
longuement sur l'Allemagne consciente de "sa responsabilité dans le monde" et sur les "pays émergents" qui devaient "prendre davantage de responsabilités." Ce faisant, Merkel
avait énoncé le principe d'une nouvelle politique allemande en matière d'armement : la doctrine Merkel. Le cœur de cette doctrine est le suivant : plutôt que d'aller eux-mêmes se battre, mieux
vaut que les Allemands fournissent des armes à leurs alliés. Même si les dits alliés sont des dictatures.
Le jour où on voudra
déterminer quelles étaient exactement les positions d'Angela Merkel, tant elle a changé d'orientation - au moins une fois, en général plus souvent - sur nombre de questions essentielles tels
l'énergie nucléaire, le sauvetage de l'euro ou bien encore la conscription. Mais on se souviendra d'elle pour cette nouvelle doctrine car celle-ci rompt avec la tradition (ouest-allemande qui
était la ligne directrice au moins théorique et parfois pratique en matière de vente d'armes et qui veut qu'on évite de vendre des armes aux dictateurs.
Des contrats en
vue dans le Golfe
Ce ne sont pas des
paroles creuses : 42% des exportations d'armes allemandes vont désormais à des Etats tiers, c'est à dire des Etats qui ne font partie ni de l'UE ni de l'OTAN. Or le chiffre n'était que de 29% il
y a encore deux ans. En 2011, on a appris que le gouvernement avait donné un avis favorable à la vente de 270 chars Leopard-2 à l'Arabie Saoudite. Der Spiegel rapporte cette semaine à la
une que les Saoudiens sont revenus à la charge et entendent passer commande pour quelques centaines de véhicules blindés supplémentaires, de type
Boxer. Le Qatar est également intéressé et il y a longtemps que l'Allemagne fait des affaires juteuses avec les Emirats Arabes Unis.
Ces ventes d'armes sont
immorales parce que les blindés allemands risquent fort d'être déployés contre l'opposition plutôt que contre des troupes ennemies. Et elles sont déraisonnables parce que les Leopard seront
encore en état de marche lorsque la dynastie des Saoud aura été renversée par une révolution islamique. Les F14 Tomcats que les Etats-Unis avaient livrés au chah d'Iran ne sont-ils pas désormais
aux mains des pilotes des mollahs?
Seul un débat public
pourra mettre un terme à l'hypocrisie des ventes d'armes allemandes. Il faut en finir avec les décisions secrètes du Conseil fédéral pour la Sécurité, qui se réunit sans que le Parlement et
l'opinion aient leur mot à dire. Un parti qui se dit chrétien [comme l'Union chrétienne-démocrate (CDU) d'Angela Merkel] devrait s'inquiéter de sa crédibilité sur cette question. Mais surtout, il
devrait s'inquiéter pour ses électeurs car ceux-ci désavouent ce genre de pratique. La CDU se cherche. La Basse-Saxe élira son parlement en janvier, le pays ses députés au Bundestag à l'automne
prochain. La CDU se dispute avec les Verts pour savoir qui est le meilleur citoyen du pays. Elle s'étonne de ne pas bien passer auprès des citadins et des jeunes. Elle vient de perdre les
élections municipales à Karlsruhe. Elle ne dirige plus aucune grande ville du sud-ouest. Comment Angela Merkel va-t-elle expliquer à ses électeurs qu'elle compte fournir le char le plus moderne
au monde à un pays dans lequel les femmes n'ont pas le droit de conduire ?