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Le blog de algerie-infos

"La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et dit que toute la vérité s'y trouve" Djalāl ad-Dīn Rūmī (1207-1273)

Josette Audin veut la vérité sur la mort de son mari

Arrêté et torturé en juin 1957 à Alger par les parachutistes français, Maurice Audin n’a jamais été revu vivant. Dans un entretien publié dans Le Nouvel Observateur N° 2472 du 22 mars 2012 et intégralement repris ci-dessous, la veuve du mathématicien en appelle au chef de l’État.

 

L’Algérie a conquis son indépendance il y a cinquante ans. Que vous inspire cet anniversaire ?

 

Depuis tout ce temps, j’attends de savoir ce qui est arrivé à Maurice Audin. Dans son numéro du 1er mars [voir cette page], le Nouvel Observateur a révélé l’existence d’un document manuscrit du colonel Godard, ancien commandant de la zone Alger-Sahel, qui donne le nom d’un homme censé être l’« agent d’exécution » de mon mari. Pour la première fois, un haut responsable de l’armée française reconnaît par écrit que Maurice Audin a été tué par un militaire et qu’il ne s’est pas évadé comme le veut la thèse officielle. C’est pour cette raison que je souhaite que le Nouvel Observateur contribue à la manifestation de la vérité en publiant l’extrait du document avec le nom de l’« agent d’exécution » – Gérard Garcet – désigné par le colonel Godard.

 

En quoi la révélation de ce nom est, selon vous, nécessaire ?

Parce que, d’après le texte de Godard, celui qui aurait tué mon mari est un militaire de carrière qui a agi sur ordre de ses supérieurs hiérarchiques. Il faut que les pouvoirs publics et l’armée française s’expliquent. Il faut qu’ils reconnaissent enfin la responsabilité des officiers en poste pendant la guerre d’Algérie : Massu, Godard, ou encore Bigeard dont l’Etat a voulu transférer les cendres aux Invalides, comme s’il était un héros national. Jacques Chirac, lors de son discours du Vél’d’Hiv en 1995, a reconnu les responsabilités de Vichy dans la déportation de la communauté juive. J’attends de son successeur la même attitude par rapport aux exactions de la guerre d’Algérie. Le gouvernement de l’époque avait fait voter les pouvoirs spéciaux et le transfert des pouvoirs de police au général Massu et aux parachutistes. Est-ce que cela signifiait que l’armée pouvait décider de qui devait mourir ? Les veuves et les orphelins des milliers de disparus de la bataille d’Alger, probablement exécutés arbitrairement, sont en droit de savoir enfin la vérité.

 

Mais aucun témoignage, aucun aveu n’est venu pour l’instant corroborer les écrits du colonel Godard.

Et lui-même, décédé en 1975, n’est plus là pour s’expliquer sur la véracité de son texte... Justement, tous les militaires en poste pendant la guerre d’Algérie, quel qu’ait été leur comportement, n’ont aucun risque d’être poursuivis. Ils sont protégés par la loi d’amnistie de 1966 qui concerne toutes les infractions commises pendant la guerre. Il faut qu’ils parlent. Les pouvoirs publics et l’armée doivent demander officiellement à Garcet, mais aussi au général Aussaresses, dont il était l’adjoint, et à tous les témoins encore vivants de dire ce qu’ils savent. Je m’associe également à la requête adressée à laprésidence de la République par les historiens Benjamin Stora et Mohammed Harbi pour la levée du secret-défense sur l’affaire Maurice Audin. Plus généralement, il est urgent que la totalité des archives soient enfin ouvertes. Celles sur mon mari, bien sûr, mais aussi celles de tous les responsables de l’époque, y compris de Gaulle. J’ai fait toutes les démarches possibles et imaginables. J’ai déjà déposé deux plaintes qui ont abouti à des non-lieux. J’ai écrit à Nicolas Sarkozy qui n’a jamais daigné me répondre. Jusqu’à quand l’Etat français va-t-il garder le silence ?

 

Après toutes ces années, vous croyez encore qu’une réaction est possible ?

Je ne sais pas. Mais jusqu’à présent l’hypothèse le plus souvent évoquée pour la disparition de Maurice Audin était celle d’une « bavure » sous la torture : le lieutenant André Charbonnier, en poste au centre d’interrogatoire d’El-Biar, où il a été emmené, l’aurait étranglé dans un accès de colère. C’est ce que soutenait l’historien Pierre Vidal-Naquet, lui aussi décédé. Aujourd’hui, avec ce document, un autre nom, mais surtout un autre scénario est évoqué : l’exécution sur ordre. L’intérêt de rendre public le nom de l’« agent d’exécution », c’est de mettre au jour une chaîne de responsabilités qui conduit jusqu’au gouvernement français. Il faut que la vérité soit dite.

 

Propos recueillis par Nathalie Funès, 22 mars 2012. Ldh-Toulon.net

 

les deux rives de la Méditerranée > Maurice Audin

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