16 Mai 2013
Par Martine Jacot
Le géopoliticien Gérard Chaliand ne se lasse pas, à 79 ans, de prendre de la hauteur pour tenter de comprendre la marche du monde. Dans l’un de ses récents ouvrages, il avait balayé cinq mille ans d’histoire, avec Jean-Pierre Rageau, jusqu’à l’effondrement de l’Union soviétique
Son dernier livre s'ouvre sur la toute première mondialisation connue, celle réalisée par les musulmans, du VIIIe au XVe siècle, pour arriver jusqu'à nos jours, avec quelques éléments prospectifs.
La crise actuelle, observe-t-il, vient en partie du retour de ceux qui s'étaient laissé distancer par les avancées de l'Occident à partir du XVIIIe siècle. A cette époque, la Chine des Qing, l’Inde moghole, la Perse séfévide et l'Empire ottoman étaient des puissances redoutables. Aussi vaut-il mieux aujourd'hui, pour Gérard Chaliand, évoquer non pas des pays émergents mais des pays réémergents, à l'exception du Brésil, nouveau protagoniste de la mondialisation.
Au regard de l'histoire longue, l'hégémonie des pays européens n'aura duré environ que trois quarts de siècle, jusqu'à la seconde guerre mondiale. Après ce conflit, les Etats-Unis commencent à "réaménager le monde" et, à la conférence de Bandung en 1955, les pays qui s'étaient libérés du colonialisme européen proclament leur volonté de devenir ou de redevenir des acteurs mondiaux.
Nouvel équilibre mondial
Ce sont les plus dynamiques d'entre eux qui façonnent aujourd'hui un nouvel équilibre mondial, Chine en tête, tandis que les Etats-Unis connaissent un déclin relatif, entre autres à cause de leurs erreurs stratégiques en Irak et en Afghanistan.
La crise économique et financière actuelle est survenue au moment même où la Chine passait au 2erang des puissances économiques mondiales, ce qui a obligé Barack Obama à réorienter ses forces militaires vers l’Asie-Pacifique. La Chine s'étant définie, fin 2012, comme une puissance déterminée à "défendre fermement ses droits et ses intérêts maritimes", va-t-on inévitablement vers une conflagration entre ces deux grands ?
La Chine a encore un long chemin à parcourir avant d'égaler militairement son rival, constate l'auteur. Il observe cependant que ces deux grands sont devenus rivaux dans tous les domaines. A ses yeux, il est illusoire de croire que Pékin ouvrira son marché intérieur aux acteurs étrangers ou que le régime chinois évoluera vers de grandes réformes politiques.
Dans le vaste panorama qu'il brosse du reste du monde, on relèvera que le géostratège assimile le terrorisme d’Al-Qaida à un "phénomène mineur qui a surtout frappé les esprits et les volontés". Que l'Inde a trop de faiblesses pour s’imposer rapidement et que la Russie demeure une puissance en reconstruction chaotique aux positions ambiguës.
Quid de l'Europe ? Elle aurait intérêt, selon Gérard Chaliand, à s’ouvrir carrément aux pays membres du Conseil de l’Europe, sans la Russie. Quant à la France, elle n'occupera pas longtemps le 5erang de l'économie mondiale, en raison de la résistance aux changements de son peuple et de la pusillanimité de son personnel politique.