6 Novembre 2015
Louisa Dris-Aït Hamadouche est maître de conférence à la faculté des sciences politiques et des relations internationales Alger III. Chercheuse associée au CREAD.
EXTRAIT
l'Algérie est-elle en train de rentrer dans une phase d'instabilité ?
Louisa Dris-Aït Hamadouche : Je crois que les gouvernants algériens sont plutôt dans une logique d’ "équilibre instable", c'est-à-dire un système dont le mode de fonctionnement est précisément de gérer les contradictions et les tensions, et d’y trouver une forme de stabilité. En fait, la stratégie suivie est plus de contenir ces tensions à un niveau acceptable que de les éradiquer. Cette stratégie trouve sa justification dans le fait qu’elle correspond aux sources de légitimités des actuels gouvernants qui sont la sécurité et la redistribution de la rente. En d’autres termes, les sources de déstabilisation potentielle que vous citez sont aussi des facteurs de maintien du statu quo.
Quelles sont les garanties les plus sûres de la stabilité de l'Algérie ? Ses institutions ? La peur de la population de connaître à nouveau les horreurs de la "Décennie noire" ?
Vous avez raison d’évoquer les institutions et la peur comme deux sources de préservation de la stabilité en Algérie. Au moment où l’Algérie célèbre le 61ème anniversaire du déclenchement de sa guerre d’indépendance, un élément reste très caractéristique des rapports qu’entretiennent les Algériens avec ces deux éléments que vous citez. Il s’agit comme vous le dites de la peur qui fait que les Algériens refusent de prendre le risque de changements politiques susceptibles de déboucher sur le chaos, d’une part et, d’autre part, la confiance qu’ils ont vis-à-vis de leurs institutions et plus précisément les institutions gestionnaires de la violence. Les études et les sondages menés sur cette question montrent clairement que les Algériens ont bien plus confiance dans leur armée, services de renseignements et police, que dans leur parlement et partis politiques. Or, tant que les Algériens auront peur, ils continueront de s’appuyer sur les institutions qui les protègent et à critiquer l’incompétence et l’inefficacité des autres institutions.
Quels sont les moyens d'action à disposition de l'Algérie pour réagir aux conséquences de la baisse du prix du pétrole sur son modèle de redistribution, garantie pour beaucoup de la "Paix sociale"? Relancer l'économie par l'exploitation du gaz de schiste ?
En fait, je poserai la question un peu autrement : L’Algérie veut-elle mettre en place les moyens dont elle dispose pour réagir aux conséquences de la baisse du prix du pétrole ? Je crois que le débat est plus dans la volonté de mobiliser les ressources nécessaires que dans l’existence de ces ressources qui sont connues de tous. Je parle de volonté politique car maintenir la paix sociale sans passer par la case redistribution massive de la rente passe, non seulement par des réformes économiques profondes, mais aussi par une "réforme des mentalités", si vous me passez l’expression. Les gaz de schiste ne sont pas susceptibles de remplacer la rente issue des hydrocarbures et les manifestations dans le sud algérien ont montré une réelle opposition à ce projet assimilé à une coûteuse solution de facilité. Par contre, la solution –la réforme des mentalités-, passe sans aucun doute par une désintoxication générale vis-à-vis de cette addiction à la rente, devenue un droit naturel pour tout le monde. La solution passe par l’instauration d’un véritable pacte économique dans lequel tout travail mérite salaire et tout salaire doit être justifié par le travail accompli. Ce principe parait évident mais il est loin d’être appliqué en Algérie où le député d’un parlement très affaibli perçoit 17 fois l’équivalent du salaire minimum garanti. Les Algériens ont besoin de réapprendre que les responsables sont comptables de leurs décisions, que les travailleurs comptables des heures qu’ils accomplissent et que les crimes économiques sont poursuivis par la justice. C’est de cette façon que le système économique pourra basculer d’un système rentier producteur de corruption et d’assistanat, à un système économique producteur de richesse et de développement durable.
A la mort de Bouteflika, y-a-t-il un risque d'assister à une guerre de succession, qui pourrait déraper dans la violence ? Dans le cas d'un scénario noir, pétrole durablement bas, succession houleuse etc., quel serait l'impact d'une déstabilisation de l'Algérie sur la région ?
Vous savez l’Algérie a connu depuis son indépendance sept chefs d’État Il y a donc eu sept négociations, marchandages, tensions et finalement désignations de président. Je pense qu’il y en aura une huitième selon les mêmes schémas même si les acteurs ne sont pas tous les mêmes. Le scénario du statu quo synonyme de stabilité est d’autant privilégié que l’impact du scénario inverse sur la région serait désastreux. Quand vous regardez au nord il y a la Syrie et les réfugiés, à l’est c’est la Libye en décomposition, au sud le Sahel est ébullition… La stabilité de l’Algérie est non seulement indispensable, mais son rôle stabilisateur en Tunisie et de stabilisation en Libye et au Mali est nécessaire.
Comment se porte le courant islamiste en Algérie ? Est-il un potentiel facteur aggravant de déstabilisation si le pays connaît une crise politique ou si la crise économique empire ?
Ce réflexe qui consiste à envisager le courant islamiste comme un facteur aggravant n’a-t-il pas disparu avec les dinosaures ? Plaisanterie mise à part, je voudrais d’abord signaler qu’il existe "des" courants et non "un" courant islamiste, lesquels sont structurés, ou pas dans une dizaine de partis politiques qui s’entendent aussi bien que les Sarkozistes et les Chiraquiens. Deuxièmement, en l’absence de scrutins totalement transparents, il est difficile de déterminer le poids et les capacités de mobilisation de ces différents partis. Troisièmement, le terrorisme islamiste a connu le même processus que celui observé en Amérique latine. Avec l’usure du temps, il s’est progressivement désidéologisé, ce qui lui confère une capacité de nuisance inférieure à celle qu’il avait dans le passé.
Source: atlantico.fr